« NOUS AVONS CHOISI LE RETOUR À L'ABONDANCE »
En dix ans, au Gaec La Croix bleue, la proportion d'animaux de race abondance dans le troupeau, génisses comprises, est passée de 20 à 80 %
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LA DÉMARCHE DE CHANGEMENT DE RACE DU GAEC LA CROIX BLEUE a été engagée dans le cadre du défi collectif lancé par le syndicat du fromage abondance. En effet, à l'occasion de la révision de son cahier des charges AOP, ce syndicat a décidé de renforcer la présence de la race alpine dans la filière fromagère. Trois paliers ont été établis : 35 % en 2011, 45 en 2016 et 55 en 2022. Cohérente avec le contexte de l'exploitation, située à 830 m d'altitude, l'abondance collait aux convictions des quatre associés. « Dans un marché du lait de plus en plus dérégulé, notre avenir est lié au renforcement des valeurs qui ont fait le succès des filières fromagères savoyardes : une race locale valorisée dans un système herbe, associéeà un terroir et à un produit AOP qui nous protège. À condition bien sûr que le prix du lait soit maintenu à un niveau rémunérateur. » En baisse ces dernières années, le prix du lait reblochon s'est établi, en moyenne en 2010, à 462 euros la tonne (primes comprises).
Conduites dans le cadre de deux cahiers des charges AOP aux exigences très proches, les 120 vaches sont nourries à l'herbe ou au foin séché en grange, avec un maximum de 1 800 kg de concentré/VL/an. Les vêlages sont étalés de juin à novembre pour tenir compte des mesures d'écrêtement du lait de printemps mises en place par la filière reblochon. Le parcellaire de l'exploitation (50 ha attenants à la stabulation dont 40 ha drainés) facilite la gestion du pâturage et la production de fourrage de qualité. Un point auquel les éleveurs prêtent une grande attention.
QUATRE CHEPTELS D'ORIGINES DIFFÉRENTES
« Nous adaptons la fauche au pâturage et non l'inverse », explique Jean-Michel Rémillon, l'un des associés. Autonome en fourrages, le Gaec doit toutefois mettre en pension une soixantaine de génisses chaque année. Si le troupeau ne comptait plus que 26 animaux abondance en 1999, ce n'est pas que les éleveurs avaient choisi de délaisser la race alpine. « La proportion d'animaux dans le troupeau s'est diluée naturellement tout au long de l'histoire du Gaec, explique Jacques Vulliet. Le fait de se retrouver avec quatre cheptels d'origines différentes nous a amenés à discuter des objectifs du troupeau. Nous avons d'abord enlevé les pienoires, puis les croisées. Pour les montbéliardes, nous avons gardé les meilleures. » Durant la campagne 2009-2010 du contrôle laitier, vingt-neuf montbéliardes affichaient une moyenne de 8 059 kg de lait à 39,3 TB et 33,4 TP. « À partir du moment où l'on a choisi l'abondance, nous nous sommes inscrits à l'Upra pour faire avancer plus vite nos bonnes souches. Il nous manquait un conseil pointu sur le planning des accouplements. »
Le Gaec n'a pas connu de transition difficile. « Nous avons juste dû réformer quatre génisses qui n'avaient pas de lait. Nous n'avons pas non plus subi de chute vertigineuse de production laitière. Auparavant, avec une proportion plus forte de montbéliardes, nous étions à 7 000-7 200 kg de lait/VL, note Jacques. Maintenant, nous sommes plutôt à 6 800 kg. »
La baisse de productivité des abondances, essentiellement marquée sur les primipares, a été compensée par une augmentation de l'effectif (20 laitières). La capacité en bâtiment portée à 150 logettes le permettait. « Avec des abondances, il faut être patient sur les premières lactations car la race n'est pas aussi bien fixée qu'une prim'holstein, estime Jérémie. L'écart de productivité enregistré sur les premières et secondes lactations se réduit à partir de la troisième année. Nos meilleures abondances égalent les montbéliardes mais globalement, c'est vrai, il y a un écart. »
« UN BONUS ÉCONOMIQUE VIA LES TAUX POUR UN LAIT MEILLEUR EN TP »
« Le choix de revenir à une majorité d'abondances constitue une approche globale, souligne Jean- Michel Rémillon. Il ne s'agit pas de chercher à remplacer nos montbéliardes à plus de 8 000 kg par des abondances de niveau équivalent. Les abondances sont moins productives, surtout chez les jeunes, mais il y a des compensations. Économiquement, le lait produit à partir de vaches abondances n'est pas payé plus cher. Mais indirectement il y a un bonus via les taux pour un lait meilleur en TP et moins gras. » Les 80 abondances pointaient, en 2009-2010, à 6 280 kg de lait à 34,3 de TP et 38 de TB. Les éleveurs apprécient ainsi leur bonne adaptation à leur système tout herbe et leur capacité à rester productives dans des conditions difficiles. « Cette année, nous avons supprimé le mélange luzerne-betterave, trop cher, observe ainsi Jacques. Les vaches n'ont pas exprimé tout leur potentiel, mais elles n'ont pas non plus chuté en lait. » Les bons aplombs de l'abondance sont également précieux dans un système aussi pâturant où les vaches marchent près d'un kilomètre pour accéder à leur parcelle. « La longévité est plus importante et nous avons moins de problèmes de fertilité. Les frais vétérinaires sont stabilisés. Nous voulons des animaux solides qui durent, qui font plus de lait avec moins de farine. Mais qui sont aussi capables de résister aux premiers moustiques. » L'exploitation fait partie de celles qui ont refusé de vacciner contre la FCO. Elle s'en félicite : « Avec nos animaux rustiques, nous n'avons perdu qu'une bête. Les autres ont eu des symptômes, mais les ont surmontés. »
Satisfait, le Gaec tire quelques enseignements de sa démarche. « C'est une question de volonté. Se faire accompagner pour être au courant des opportunités d'achat de génétique est indispensable. Il faut ensuite accepter d'élever davantage les premières années. Le système, plus gourmand en surface, peut constituer un frein. L'un des aspects les plus difficiles consiste à accepter de se séparer de produits très intéressants en montbéliarde. »
ANNE BRÉHIER.
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